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Page:Rolland - Beethoven, 2.djvu/96

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GŒTHE ET BEETHOVEN

cimenter les digues, sans quoi il serait submergé[1]. Cet empereur de la vie, il sait sur quelles constructions fragiles repose son empire, et ce qu’elles lui ont coûté ! Comme le maître d’œuvre de l’antique légende, il y a plus d’un corps de femme, qu’au cœur de la maçonnerie il a muré ! Par combien de sacrifices lui a-t-il fallu acheter, non sa tranquillité égoïste, (comme dit le vulgaire, incapable de se hausser à de telles destinées), mais la sérénité de son œuvre et son accomplissement ! Oui, certes, il est moins robuste, moins rude, moins viril que Beethoven. Beethoven est toujours en combat ; il se heurte, à chaque pas, il se meurtrit, mais il n’hésite point, front en avant, il fonce sur l’ennemi. Gœthe ne combat jamais.

le fait est là : Gœthe se détourne du visage de la mort. On lira dans la Vie de Gœthe, par Emil Ludwig, le récit de la mort d’un ami de Gœthe, le ministre d’État von Voigt, la tendre lettre, la lettre poignante du mourant, et vingt-quatre heures après, quand il est mort, à quelques pas de sa demeure, la calme réponse de Gœthe, qui n’a pu se décider à aller le visiter… Sa répulsion de la mort, Mme de Stein la connaissait bien ! Mourante, elle interdit que son cortège passe devant la maison de son ami ! Et lui, pendant les obsèques, il est chez lui, il lit Victor Hugo et les Chasses de Mongolie… Mais quand un intime vient et lui parle de la cérémonie, il éclate en sanglots. — Ne soyons pas durs ! Ne l’appelons pas dur ! Qui a vu jamais au fond de sa douleur ? Que l’on relise la plainte immortelle, dans Wilhelm Meister, du Harpenspieler !

1. A quatre-vingts ans, il dit : o Wollte ich mich ungehindert gehen lassen, so làge es wohl in mir, mich selbst und meine Umgebung, zu Grunde zu richten. » ( « Si je voulais me laisser aller sans entrave, il ne tiendrait qu’à moi de me ruiner de fond en comble, moi et tous ceux qui m’entourent. #)

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