Aller au contenu

Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/344

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
334
BEETHOVEN

c’est une cantilène mélancolique, qu’accompagne le murmure d’une Sehnsucht hésitante… Et c’est le même trait. Quel beau jeu de vieil enchanteur ! Le pédantisme de l’archaïque fugue d’école devient, en ses mains, la baguette magique des métamorphoses.

Ce mouvement à reculons évolue à son tour, est le motif d’un développement, où le thème, par tronçons, passe de l’une à l’autre parties, se poursuivant et se fuyant, en montées et redescentes alternées : la balle est prise et reprise, comme en un match bien réglé. Le premier élan du début y ressurgit, roulant au fond des basses[1], tandis qu’au-dessus les joueurs luttent, pour aboutir à un dolce cresc., où la voix supérieure monte, en un gracieux essoufflement[2]. Le jeu se poursuit, avec des bonds souples et agiles, et puis se mêle, comme en dansant, et parcourant de larges cercles de modulations, — sans que jamais, sur ce champ de jeu, l’artiste oublie, dans l’entraînement, la loi d’harmonieuse alternance entre les ombres et les lumières, entre les masses harmoniquement plus chargées et les profils plus dégagés et plus légers. Bref, il est clair que toute cette première partie du morceau est un jeu, non sans ardeur, mais sans passion, surtout sans préoccupations de l’esprit libéré, qui court et danse ; et ses soucis et les combats de toute la sonate qui précède, sans disparaître, se sont mués eux-mêmes en jeu : ils sont la balle, que l’esprit lance et reçoit en retour…

  1. Mesures 196 et suiv.
  2. Mesures 204 et suiv.