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LES DERNIERS QUATUORS

[partition à transcrire]

Mais le motif est ici disloqué et domestiqué, à des fins d’amusement docile. Il n’y a plus rien en lui d’inquiétant. Il se déroule avec une régularité presque mécanique, enjeux taquins et serrés des instruments entrecroisés. Beethoven est dans ses heures de gaminerie de l’esprit détendu, qui ne se lasse point de ce balancement accéléré, en vives ripostes à coups de raquettes.

Or, dans ce jeu selon les règles, (bien que la brusquerie de Beethoven s’y fasse jour), s’ouvrent subitement les espaces magiques du trio. Au plus haut registre des cordes, le premier violon, par bonds de dixième, de douzième, de double octave, du haut en bas, en établissant à sa base une pédale en la qui bourdonne, en musette, vingt-deux mesures, renforcées dans les neuf dernières par l’alto et le violoncelle, déchaîne une ronde vertigineuse, qui semble suspendue dans les airs. Le crépitement des croches qui tourbillonnent autour du la répété évoque des scintillements planétaires, une farandole d’étoiles dans l’étendue illimitée.

Je vois Beethoven attardé dans ses promenades, sur les collines, et enivré, buvant à la coupe enchantée du ciel nocturne. (Ah ! qu’on aimerait à retrouver ses esquisses, ses cris d’extase dans la nuit !) C’est le premier de ses trios-scherzos ivres des derniers quatuors. Mais il est de tous le plus immatériel et le plus sain. Dans ceux de l’op. 131 et de l’op. 135, la fureur dionysiaque prend des formes plus brutales et plus sauvages. Ici, l’ivresse est pure, et, l’on dirait, séraphique. »