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BEETHOVEN

lors une si grande place dans la création de Beethoven, et que jusqu’alors il s’efforçait d’étouffer. Et justement, parce qu’il ne pouvait y faire leur part dans ses grands discours d’orchestre, ses symphonies tout en plein jour et en ombres fortes, bien tranchées, il sentit le prix des quatuors, pour leur confier le demi-jour de sa pensée et cette puissante vie de la terre, que porte en soi tout génie, qui est sa chair, et que l’intelligence ne connaît point, — (qu’elle n’aime point à connaître : et cependant, si ses racines n’y plongeaient, elle se flétrirait). — Il y a, dans ce premier allegro de l’op. 59 no 1, d’étranges failles de la pensée, qui brisent le calme apparent ; il s’en échappe, sans crier gare, des apparitions saugrenues, — des modulations inattendues, qui bousculent le déroulement logique et le tranquille confort de l’esprit. Le principe même du développement est, comme l’a bien vu Wagner, tout différent de celui des maîtres classiques d’avant : — « Mozart, dit-il, dans ses œuvres symphoniques, commence avec la mélodie entière, qu’il morcelle ensuite, par jeu, en fragments contre-pointés, de plus en plus petits. Beethoven, au contraire, commence avec ces morceaux fragmentés, de la somme desquels il édifie devant nos yeux, de toujours plus riches et plus fières constructions. »

Mais Wagner s’arrête au milieu de son explication. Il ne dit pas la raison profonde de ce changement de front. C’est que Mozart, comme tous les maîtres de l’intelligence classique. conçoit l’œuvre toute faite, quand il commence ; et son public est comme lui, il ne suit le développement qu’une fois le plan posé d’avance. Beethoven n’expose pas le plan conquis, il le conquiert au cours de la campagne où il nous entraîne à sa suite, de son voyage à la découverte ; il donne la parole au « devenir » (« werden »). — Ce tournant de route