Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/109

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pour avaler les odeurs du repas. Pour mieux me contenter, me fis dire les plats. Nous étions trois gourmands, mons Tripet, Bauldequin, et Breugnon, ci-présent, qui nous regardions en riant, à chaque mets qu’on nommait, et nous nous donnions du coude dans les côtes. Nous approuvions ce plat, nous discutions cet autre : on eût pu faire mieux, si l’on eût consulté des gens d’expérience, comme nous ; mais enfin, ni faute d’orthographe, ni péché capital ; et le dîner en somme était fort honorable. À propos d’un civet, chacun dit sa recette ; et ceux qui écoutaient ajoutèrent leur mot. Mais là-dessus bientôt un débat éclata (ces sujets sont brûlants ; faut être un méchant homme, pour pouvoir en parler, de cœur et de sang-froid). Il fut surtout très vif entre dame Perrine et la Jacquotte, qui sont rivales et font les grands dîners en ville. Chacune a son parti, chaque parti prétend éclipser l’autre, à table. Ce sont de beaux tournois. Dans nos villes, les bons repas, ce sont les joutes des bourgeois. Mais malgré que je sois friand des beaux débats, rien ne m’est fatigant comme d’ouïr conter les prouesses des autres, quand moi, je n’agis point ; et je ne suis pas homme à me nourrir longtemps du jus de ma pensée et de l’ombre des plats que je ne mange pas. C’est pourquoi je fus aise, quand mons Tripet me dit (le pauvre aussi souffrait ! ) :

— À parler de cuisine trop longtemps, on devient, Breugnon, comme un amant qui parle trop d’amour. Je n’en peux plus, holà, je suis dans un état à périr, mon ami, j’arde, je me consume, et mes entrailles