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Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/116

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Autour de notre duc, tous serrés, nous formions un îlot de bon sens, où se brisaient les flots… Le défunt duc Louis et feu le roi Henri, on ne peut en parler sans en être attendri ! Comme nous nous aimions ! Ils étaient faits pour nous, nous étions faits pour eux. Ils avaient leurs défauts, certes, tout comme nous. Mais ces défauts étaient humains et les faisaient plus proches, moins lointains. On disait en riant : « Nevers est encore vert ! » ou : « L’année sera bonne. Nous ne manquerons pas d’enfants. Le vert-galant nous en fit un encore… » Ah ! nous avons mangé notre pain blanc d’abord. Aussi, nous aimons tous à parler de ces temps. Delavau a connu le duc Louis comme moi. Mais seul, j’ai vu le roi Henri, et j’en profite : car, devant qu’ils m’en prient, je leur fais le récit, pour la centième fois (c’est toujours la première, pour moi, pour eux aussi, j’espère, s’ils sont de bons François), comment je le vis, le roi gris, en chapeau gris, en habit gris (par les trous passaient ses coudes), à cheval sur un cheval gris, le poil gris et les yeux gris, tout gris dehors, dedans tout or…

Par malheur, le premier clerc de mons notaire m’interrompt pour l’avertir qu’un client meurt et le demande. Il doit partir, bien à regret, — non pas avant de nous avoir gratifiés d’une histoire qu’il préparait depuis une heure : (je le voyais qui sur sa langue la retournait ; mais moi d’abord plaçai la mienne). Soyons juste, elle était bonne, j’ai bien ri. Pour vous conter la gaudriole, le Delavau est sans égal.

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