Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/131

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la vois, une fois, tout en parlant et riant, avec ses yeux hardis qui cherchaient dans mes yeux le défaut de mon cœur, pour le faire crier, je la vois, bras levés, attirant une branche de cerisier chargée de rouges pendeloques qui formaient une guirlande autour des cheveux roux ; et, sans cueillir les fruits, les becquetant à l’arbre, gorge tendue, bec en l’air, en laissant les noyaux. Image d’un instant, éternelle et parfaite, jeunesse, jeunesse avide qui tette les mamelles du ciel ! Que de fois j’ai gravé la ligne de ces beaux bras, de ce cou, de ces seins, de cette bouche gourmande, de cette tête renversée, sur les panneaux de meubles, en un rinceau fleuri !… Et penché sur mon mur, tendant le bras, je pris violemment, j’arrachai la branche qu’elle broutait, j’y appliquai ma bouche, je suçai goulûment les humides noyaux.

Nous nous retrouvions aussi, le dimanche, à la promenade, ou à la Cave de Beaugy. Nous dansions ; j’avais la grâce de maître Martin Bâton ; amour me donnait des ailes : amour apprend, dit-on, aux ânes à danser. Je crois qu’à aucun instant, nous ne cessions de batailler… Qu’elle était agaçante ! M’en a-t-elle dégoisé, des malices mordantes, sur mon long nez de travers, ma grande gueule bâillante où l’on eût pu, dit-elle, faire cuire un pâté, ma barbe de savetier, et toute cette mienne figure que monsieur mon curé prétend faite à l’image du Dieu qui m’a créé ! (Quelle pinte de rire, alors, quand je le verrai ! ) Elle ne me laissait pas une minute de repos. Et je n’étais non plus ni bègue, ni manchot.

À ce jeu prolongé, nous commencions tous deux,