Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/181

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’il n’y a rien de plus sain). La dernière fois qu’elle vint dans le pays (c’était vers l’an mil cinq cent quatre-vingts, j’avais l’âge d’un vieux bœuf, quatorze ans), elle avança le nez jusqu’au seuil de notre huis, et puis, l’ayant flairé, s’en était retournée. Ce fut alors (nous les avons bien plaisantés depuis) que les gens de Châtel-Censoir, mécontents de leur patron, le grand saint Potentien qui les protégeait mal, l’avaient mis à la porte, prirent à l’essai un autre, puis un autre, puis un autre ; ils en changèrent sept fois, élisant tour à tour Savinien et Pellerin, Philibert et Hilaire. Même, ne sachant plus à quel saint se vouer, ils se vouèrent à celui (les gaillards ! ) d’une sainte, et, faute de Potentien, ils prirent Potentiane.

Nous nous remémorions, en riant, cette histoire, bons lurons, fanfarons et vaillants esprits forts. Pour montrer que nous ne donnions dans ces superstitions, non plus que dans celles des médecins, échevins, nous allâmes bravement à la porte du Chastelot faire la conversation par-dessus les fossés avec ceux qui restaient sur l’autre rive échoués. Même, par forfanterie, certains trouvaient moyen de se glisser dehors et d’aller boire une pinte dans une auberge proche, avec quelqu’un de ceux au nez de qui la porte du paradis était fermée, voire avec un des anges postés pour la garder (car ils ne prenaient pas leur faction au sérieux). Moi, je faisais comme eux. Pouvais-je les laisser seuls ? Était-il supportable que d’autres, à ma barbe, s’ébaudissent, s’ébattissent et dégustassent ensemble