Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/267

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veux bien. Mais de guerre, non, non, ce n’est pas mon affaire !… Bref, nous étions penauds, courbaturés et las ; nous avions des remords de cœur et d’estomac.

Nous nous remîmes tous au travail, avec rage. Le travail boit les hontes et les peines, comme une éponge. Le travail fait à l’âme peau neuve et sang nouveau. L’ouvrage ne manquait ; que de ruines partout ! Mais qui nous vint le plus au secours, fut la terre. Jamais on n’avait vu abondance pareille en fruits et en moissons ; et le bouquet, ce fut, pour finir, la vendange. On aurait dit vraiment que cette bonne mère voulait nous rendre en vin le sang qu’elle avait bu. Pourquoi pas, après tout ? Rien ne se perd, ne doit se perdre. S’il se perdait, où irait-il ? L’eau vient du ciel et y retourne. Pourquoi le vin ne ferait-il semblablement le va-et-vient entre la terre et notre sang ? C’est même jus. Je suis un cep, ou l’ai été, ou le serai. Il me plairait de le penser ; et je veux l’être, et je préfère à toute autre immortalité de devenir vigne ou verger, et de sentir ma chair se tendre et se gonfler en de beaux raisins bien ronds, bien pleins, de grappe noire et duvetée, et de faire craquer leur peau à crever, au soleil d’été, et (le meilleur) d’être mangé. Toujours est-il que, cette année, le jus des vignes déborda, et que par tous ses pores, la terre saigna. Voilà-t-il pas que les tonneaux manquèrent ; et, faute de récipients, on laissa le raisin en cuve, ou bien en cuveau de lessive, sans seulement le pressurer ! Bien mieux, il arriva cette chose inouïe qu’un vieux bourgeois d’Andries,