Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/307

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les jours ou les semaines ? ) sont le joyau de ma vie. Bénie ma maladie !

Et bénis soient mes yeux, par où s’infiltre en moi la vision merveilleuse enclose dans les livres ! Mes yeux de magicien, qui sous la broderie des signes gras et serrés, dont le noir troupeau chemine entre les deux fossés des marges sur la page, font surgir les armées disparues, les villes écroulées, les beaux parleurs de Rome et les rudes joueurs, les héros et les belles qui les menèrent par le nez, le grand vent sur les plaines, la mer ensoleillée, et le ciel d’Orient, et les neiges d’antan !…

Je vois passer César, pâle, grêle et menu, couché dans sa litière, au milieu des soudards qui suivent en grognant, et ce goinfre d’Antoine, qui s’en va par les champs, avec tous ses buffets, sa vaisselle, ses putains, pour bâfrer à l’orée de quelque vert bocage, qui boit, rend et reboit, qui mange à son dîner huit sangliers rôtis, et qui pêche à la ligne un vieux poisson salé, et Pompée compassé, que Flora mord d’amour, et le Poliorcète, avec son grand chapeau et son manteau doré, sur lequel sont pourtraits la figure du monde et les cercles du ciel, et le grand Artaxerce, régnant comme un taureau sur le blanc et noir troupeau de ses quatre cents femmes, et le bel Alexandre, habillé en Bacchus, qui retourne des Indes, dessus un échafaud, traîné par huit chevaux, couvert de ramée fraîche et de tapis de pourpre, aux sons des violons, des fifres, des hautbois, qui boit et qui festoie avec ses maréchaux, des fleurs sur leurs chapeaux, et son armée qui suit en