Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/340

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buvant, bavant, et étalant son cul. Et le chien sous la table jappe et lape la jatte. Et le chat, en grondant et faisant le gros dos, se sauve avec un os.

Et je pense (tout haut : je n’aime à penser bas) :

— La vie est bonne. Ô mes amis ! Son seul défaut est qu’elle est brève : on n’en a pas pour son argent. Vous me direz : « Tiens-toi content, ta part est bonne, et tu l’as eue. » Je ne dis non. J’en voudrais deux. Et qui sait ! Peut-être que j’aurai, en ne criant pas trop haut, un second morceau du gâteau… Mais le triste, c’est que si moi suis encore là, tant de bons gars que j’ai connus, où sont, hélas ? Dieu ! comme le temps passe, et les hommes aussi ! Où est le roi Henry et le bon duc Louis ?…

Et me voici parti, sur les chemins du temps jadis, à ramasser les fleurs fanées des souvenirs ; et je raconte mes histoires, je ne m’en lasse, et je rabâche. Mes enfants me laissent aller ; et lorsque en mon récit un mot me manque, ou je m’embrouille, ils me soufflent la fin du conte ; et je m’éveille de mon songe, devant leurs yeux malicieux.

— Eh ! vieux père, me disent-ils. Il faisait bon vivre, à vingt ans ! Les femmes avaient, en ce temps, la gorge plus belle et fournie ; et les hommes avaient le cœur au bon endroit, le reste aussi. Il fallait voir le roi Henry et son compain le duc Louis ! On n’en fait plus de ce bois-ci…

Je réponds :

— Malins, vous riez ? Vous faites bien, il fait bon rire. Parbleu, je ne suis pas si fou que de croire que chez nous y ait disette de vendange et de gaillards