Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/84

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écouter chanter les célestes grillons, les étoiles aux yeux ronds, et à épier l’homme au fagot dans la lune… Vous haussez les épaules ? Vous, vous êtes pour l’ordre. Eh ! l’ordre a bien son prix ! Mais il n’est pas pour rien, et il se fait payer. L’ordre, c’est ne pas faire ce qu’on veut, et c’est faire ce qu’on ne voudrait pas. C’est se crever un œil, pour mieux voir avec l’autre. C’est abattre les bois pour y faire passer les grandes routes droites. C’est commode, commode… Mais bon Dieu ! que c’est laid !  ! Je suis un vieux Gaulois : beaucoup de chefs, beaucoup de lois, tous frères, et chacun pour soi. Crois si tu veux, et laisse-moi, si je veux, ne pas croire ou croire. Honore la raison. Et surtout, mon ami, ne touche pas aux dieux ! Il en bout, il en pleut, d’en haut, d’en bas, dessus nos nez, dessous nos pieds ; le monde en est gonflé, comme laie en gésine. Je les estime tous. Et je vous autorise à m’en apporter d’autres. Mais je vous défie bien de m’en reprendre un seul, ni de me décider à lui donner congé ; à moins que le coquin n’ait par trop abusé de ma crédulité.

Me prenant en pitié, Paillard et le curé demandèrent comment je pouvais retrouver mon chemin, au milieu de ce tohu-bohu.

— Je l’y trouve fort bien, dis-je ; tous les sentiers me sont familiers, je m’y promène à l’aise. Quand je vais seul par la forêt, de Chamoux à Vézelay, croyez-vous donc que j’aie besoin de la grand-route ? Je vais, je viens, les yeux fermés, par les chemins des braconniers ; et si je suis peut-être arrivé le