Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/87

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après quoi, fatigués de parler, nous chantâmes, entonnant à trois voix un cantique à Bacchus, le seul dieu sur lequel moi, Paillard, le curé, nous ne discutions pas. Chamaille proclamait bien haut qu’il préférait celui-là à ces autres, que tous ces sales moines de Luther et Calvin et les prêchi-prêcha débitent en sermons. Bacchus, lui, est un dieu que l’on peut reconnaître, et digne de respect, un dieu de bonne souche, bien française… que dis-je ? chrétienne, mes chers frères : car Jésus n’est-il pas, dans certains vieux portraits, parfois représenté en un Bacchus qui foule les grappes avec ses pieds ? Buvons donc, mes amis, à notre Rédempteur, notre Bacchus chrétien, notre Jésus riant dont le beau sang vermeil coule sous nos coteaux et parfume nos vignes, nos langues et nos âmes, et verse son esprit doux, humain, généreux et railleur gentiment, dans notre claire France, au bon sens, au bon sang !



À ce point du discours, et comme nous choquions nos verres, en l’honneur du gai bon sens français qui se rit de l’excès en tout (« Entre les deux s’assied le sage »… d’où vient qu’il sied souvent par terre), un grand bruit de portes fermées, de pas pesants dans l’escalier, de Jésus ! de Joseph ! d’ave, et de gros soupirs oppressés, nous annonça l’invasion de dame Héloïse Curé, comme on nommait la gouvernante, ou « la Curée ». Elle soufflait, en