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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

était fort indifférent que Hecht ou que Christophe eût raison ; il n’envisageait les gens que d’après le degré d’amusement qu’ils pouvaient avoir pour lui ; et il avait entrevu dans Christophe une source de haut comique, dont il se promettait bien de profiter.

— Il fallait venir me voir, continuait-il. Je vous attendais. Qu’est-ce que vous faites, ce soir ? Vous allez venir dîner. Je ne vous lâche plus. Nous serons entre nous : quelques artistes, qui nous réunissons, une fois par quinzaine. Il faut que vous connaissiez ce monde-là. Venez. Je vous présenterai.

Christophe s’excusait en vain sur sa tenue. Sylvain Kohn l’emmena.

Ils entrèrent dans un restaurant des boulevards, et montèrent au premier. Christophe se trouva au milieu d’une trentaine de jeunes gens, de vingt à trente-cinq ans, qui discutaient avec animation. Kohn le présenta, comme venant de s’échapper des prisons d’Allemagne. Ils ne firent aucune attention à lui, et n’interrompirent même pas leur discussion passionnée, où Kohn, à peine arrivé, se jeta à la nage.

Christophe, intimidé par cette société d’élite, se taisait, et il était tout oreilles. Il ne réussissait pas à comprendre — ayant peine à suivre la volubilité de parole française — quels grands intérêts artistiques étaient débattus. Il avait beau écouter, il ne distinguait que des mots comme