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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

qui était la dupe des autres et de soi. La sentimentalité de Christophe, ses effusions bruyantes, sa facilité d’émotion, semblaient aussi à Olivier quelquefois agaçantes, et même légèrement ridicules. Sans parler d’un certain culte de la force, de cette conviction allemande dans l’excellence morale du poing, Faustrecht, dont Olivier et son peuple avaient de bonnes raisons pour n’être pas persuadés.

Et Christophe ne pouvait souffrir l’ironie d’Olivier, qui l’irritait souvent jusqu’à la fureur ; il ne pouvait souffrir sa manie de raisonner, son analyse perpétuelle, je ne sais quelle immoralité intellectuelle, surprenante chez un homme aussi épris qu’Olivier de la pureté morale, et qui avait sa source dans la largeur même de son intelligence, ennemie de toute négation, — se plaisant au spectacle des pensées opposées. Olivier regardait les choses, d’un point de vue en quelque sorte historique, panoramique ; il avait un tel besoin de tout comprendre qu’il voyait à la fois le pour et le contre ; et il les soutenait tour à tour, suivant qu’on soutenait devant lui la thèse opposée ; il finissait par se perdre lui-même dans ses contradictions. À plus forte raison, déroutait-il Christophe. Cependant, ce n’était chez lui ni désir de contredire, ni penchant au paradoxe ; c’était une nécessité impérieuse de justice et de bon sens ; il était froissé par la sottise de tout parti pris ; et il lui fallait réagir. La façon crue dont Chris-