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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

que Christophe avait raison ; mais c’était triste.

Et puis, il y avait dans la nature de Christophe toutes sortes d’éléments troubles, qui échappaient à Olivier et qui l’inquiétaient. C’étaient des bouffées brusques d’humour baroque et redoutable. Certains jours, il ne voulait pas parler ; ou il avait des accès de malice diabolique, il cherchait à blesser. Ou bien, il disparaissait : on ne le revoyait plus de la journée et d’une partie de la nuit. Une fois, il resta deux jours de suite absent. Dieu sait ce qu’il faisait ! Il ne le savait pas trop lui-même… En vérité, sa puissante nature, comprimée dans cette vie et ce logement étroits, comme dans une cage à poulets, était par moments sur le point d’éclater. La tranquillité de son ami le rendait enragé : alors, il aurait eu envie de lui faire du mal, de faire du mal à quelqu’un. Il lui fallait se sauver, se tuer de fatigue. Il battait les rues de Paris et la banlieue, en quête vaguement de quelque aventure, que parfois il trouvait ; et il n’eût pas été fâché d’une mauvaise rencontre, qui lui eût permis de dépenser le trop-plein de sa force, dans une rixe… Olivier, avec sa pauvre santé et sa faiblesse physique, avait peine à comprendre. Christophe ne comprenait pas mieux. Il s’éveillait de ces égarements, comme d’un rêve éreintant, — un peu honteux et inquiet de ce qu’il avait fait et de ce qu’il pourrait encore faire. Mais la bourrasque de folie passée, il se retrouvait comme un grand ciel lavé