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DANS LA MAISON

où tout ce qui était n’était plus qu’une fiction de l’esprit, une construction en l’air, qui n’avait même pas l’excuse, comme les figures géométriques, d’être nécessaire à l’esprit. Christophe enrageait de ce démontage de la machine :

— Elle allait bien ; tu risques de la briser. Tu es bien avancé après ! Que veux-tu prouver ? Que rien n’est rien ? Parbleu ! Je le sais bien. C’est parce que le néant nous envahit de toutes parts qu’on lutte. Rien n’existe ? Mais moi, j’existe. Il n’y a pas de raison d’agir ? Mais moi, j’agis. Que ceux qui aiment la mort, meurent s’ils veulent ! Moi, je vis, je veux vivre. Ma vie dans un plateau de la balance, la pensée dans l’autre… Au diable, la pensée !

Il se laissait emporter par sa violence habituelle ; et, dans la discussion, il disait des paroles blessantes. À peine les avait-il dites qu’il en avait le regret. Il eût voulu les retirer ; mais le mal était fait. Olivier était très sensible ; il avait l’épiderme facilement écorché ; un mot rude, surtout de la part de quelqu’un qu’il aimait, le déchirait. Il n’en disait rien par orgueil, il se repliait en lui. Il n’était pas sans voir non plus, chez son ami, de ces soudaines lueurs d’égoïsme inconscient, qui sont chez tout grand artiste. Il sentait qu’à certains moments, sa vie ne valait pas cher pour Christophe, au prix d’une belle musique : — (Christophe ne prenait guère la peine de le lui cacher) — Il le comprenait bien, il trouvait