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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

Mais il se garda bien de l’y suivre. Il était décidé à ne plus avoir affaire avec ces coquettes, ni avec leur monde. Non qu’il fût misogyne : il s’en fallait de beaucoup. Il avait une prédilection tendre pour les jeunes femmes qui travaillaient, les petites ouvrières, employées, fonctionnaires, qu’on voit se hâter, le matin, toujours un peu en retard, à demi éveillées, vers leur atelier ou leur bureau. La femme ne lui paraissait avoir tout son sens que quand elle agissait, quand elle s’efforçait d’être par elle-même, de gagner son pain et son indépendance. Et elle ne lui paraissait même avoir qu’ainsi toute sa grâce, l’alerte souplesse des mouvements, l’éveil de tous ses sens, l’intégrité de sa vie et de sa volonté. Il détestait la femme oisive et jouisseuse : elle lui faisait l’effet d’un animal repu, qui digère et s’ennuie, dans des rêveries malsaines. Olivier, au contraire, adorait le far niente des femmes, leur charme de fleurs, qui ne vivent que pour être belles et parfumer l’air autour d’elles. Il était plus artiste, et Christophe plus humain. À l’encontre de Colette, Christophe aimait d’autant plus les autres qu’ils avaient plus de part aux souffrances du monde. Ainsi, il se sentait lié à eux par une compassion fraternelle.

Colette était surtout désireuse de revoir Olivier, depuis qu’elle avait appris son amitié avec Christophe : car elle était curieuse d’en savoir les détails. Elle gardait un peu rancune à Christophe