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DANS LA MAISON

craignez pas. Il n’y a pas de risque que nous nous aimions : nous sommes trop bons amis, pour cela.

— Que vous êtes gentil ! répondait-elle, en riant.

Sa saine nature répugnait, autant que celle de Christophe, à l’amitié amoureuse, cette forme de sentiment chère aux âmes équivoques, qui biaisent toujours avec ce qu’elles sentent. Ils étaient l’un avec l’autre comme de bons camarades.

Il lui demanda un jour ce qu’elle pouvait bien faire, certaines après-midi qu’il la voyait, au jardin, assise sur un banc, son ouvrage sur ses genoux, se gardant d’y toucher, immobile pendant des heures. Elle rougit, et protesta que ce n’était pas pendant des heures, mais quelques minutes de temps en temps, un bon petit quart d’heure, « pour continuer son histoire ».

— « Quelle histoire ? »

— « L’histoire qu’elle se contait. »

— Vous vous contez des histoires ? Oh ! racontez-les-moi !

Elle lui dit qu’il était trop curieux. Elle lui confia seulement que c’étaient des histoires, dont elle n’était pas l’héroïne.

Il s’en étonna :

— À tant faire que se raconter des histoires, il me semble qu’il serait plus naturel de se raconter sa propre histoire embellie, de se rêver dans une vie plus heureuse.