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l’aube

on cause, on se remue ; cela gâte le plaisir. C’est tellement plus beau, quand on est seul ! — Christophe retient son souffle, pour que ce soit plus silencieux encore, et aussi parce qu’il est un peu ému, comme s’il allait tirer un coup de canon. Le cœur lui bat, en appuyant le doigt sur la touche ; quelquefois, il le relève, après l’avoir enfoncé à moitié, pour le poser sur une autre. Sait-on ce qui va sortir de celle-ci, plutôt que de celle-là ? — Tout à coup, le son monte : il y en a de profonds, il y en a d’aigus, il y en a qui tintent, il y en a d’autres qui grondent. L’enfant les écoute longuement, un à un, diminuer et s’éteindre ; ils se balancent comme les cloches, lorsqu’on est dans les champs, et que le vent les apporte et les éloigne tour à tour ; puis, quand on prête l’oreille, on entend dans le lointain d’autres voix différentes, qui se mêlent et tournent, comme des vols d’insectes ; elles ont l’air de vous appeler, de vous attirer au loin… loin… de plus en plus loin, dans les retraites mystérieuses, où elles plongent et s’enfoncent… Les voilà disparues !… Non ! elles murmurent encore… Un petit battement d’ailes… — Que tout cela est étrange ! Ce sont comme des esprits. Qu’ils obéissent ainsi, qu’ils soient tenus captifs dans cette vieille caisse, voilà qui ne s’explique point !

Mais le plus beau de tout, c’est quand on met

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