Aller au contenu

Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 1.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
l’aube

avait de tristes, de mortellement tristes ; mais elles n’avaient rien de pénible, comme celles qu’on rencontre dans la vie ; elles n’étaient pas laides et avilissantes, comme lorsque Christophe avait reçu des gifles de son père, ou qu’il songeait, le cœur malade de honte, à quelque humiliation : elles remplissaient l’esprit d’un calme mélancolique. Et il y en avait de lumineuses, qui répandaient des torrents de joie ; et Christophe pensait : « Oui, c’est ainsi… ainsi que je ferai plus tard. » Il ne savait pas du tout comment était ainsi, ni pourquoi il le disait ; mais il sentait qu’il fallait qu’il le dit, et que c’était clair comme le jour. Il entendait le bruit d’une mer, dont il était tout à fait proche, séparé seulement par une muraille de dunes. Christophe n’avait nulle idée de ce qu’était cette mer, et de ce qu’elle voulait de lui ; mais il avait conscience qu’elle monterait par dessus les barrières, et qu’alors !… Alors, ce serait bien, il serait tout à fait heureux. Rien qu’à l’entendre là, tout près, à se bercer au bruit de sa grande voix, tous les petits chagrins et les humiliations s’apaisaient ; ils restaient toujours tristes, mais ils n’étaient plus honteux, ni blessants : tout semblait naturel, et presque plein de douceur.

Bien souvent, c’étaient de médiocres musiques, qui lui communiquaient cette ivresse. Ceux qui les

123