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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 1.djvu/176

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Jean-Christophe

et les harmonies dans le caractère du chant. Et puis… — (il toussa) — et puis, j’ai aussi ajouté un trio au menuet, parce que… parce que c’est l’habitude… ; et puis… enfin, je crois qu’il ne fait pas mal.

Il le joua. — Christophe était très fier de collaborer avec grand-père :

— Mais alors, grand-père, il faut que tu mettes aussi ton nom.

— Cela n’en vaut pas la peine. Il est inutile que d’autres que toi le sachent. Seulement… — (ici, sa voix trembla) — seulement, plus tard, quand je n’y serai plus, cela te rappellera ton vieux grand-père, n’est-ce pas ? Tu ne l’oublieras pas ?

Le pauvre vieux ne disait pas qu’il n’avait pu résister au plaisir, bien innocent, d’introduire un de ses malheureux airs dans l’œuvre de son petit-fils, qu’il pressentait devoir lui survivre ; mais son désir de participer à cette gloire imaginaire était bien humble et bien touchant, puisqu’il lui suffisait de transmettre, anonyme, une parcelle de sa pensée, afin de ne pas mourir tout entier. — Christophe, très touché, lui couvrait la figure de baisers. Le vieux, qui se laissait attendrir de plus en plus, lui embrassait les cheveux.

— N’est-ce pas, tu te souviendras ? Plus tard, quand tu seras devenu un bon musicien, un grand

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