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Jean-Christophe

n’avait entendu une pareille chanson. Lente, simple, enfantine, elle allait d’un pas grave, triste, un peu monotone, sans se presser jamais, — avec de longs silences, — puis se remettait en route, insoucieuse d’arriver, et se perdant dans la nuit. Elle semblait venir de très loin, et allait on ne sait où. Sa sérénité était pleine de trouble ; et, sous sa paix apparente, dormait une angoisse séculaire. Christophe ne respirait plus, il n’osait faire un mouvement, il était tout froid d’émotion. Quand ce fut fini, il se traîna vers Gottfried, et, la gorge serrée :

— Oncle !… demanda-t-il.

Gottfried ne répondit pas.

— Oncle ! répéta l’enfant, en posant ses mains et son menton sur les genoux de Gottfried.

La voix affectueuse de Gottfried dit :

— Mon petit…

— Qu’est-ce que c’est, oncle ? Dis ! Qu’est-ce que tu as chanté ?

— Je ne sais pas.

— Dis ce que c’est !

— Je ne sais pas. C’est une chanson.

— C’est une chanson de toi ?

— Non, pas de moi ! quelle idée !… C’est une vieille chanson.

— Qui l’a faite ?

— On ne sait pas…

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