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Jean-Christophe

— C’est ma faute à moi, dit-elle. Il ne devait pas m’épouser. Il a regret de ce qu’il a fait.

— Que veux-tu qu’il regrette ?

— Vous le savez bien. Vous-même, vous avez été fâché que je sois devenue sa femme.

— Ne parlons plus de cela. C’est vrai, j’ai été un peu chagrin. Un garçon comme lui, — je peux bien le dire, sans te blesser, — un garçon que j’avais élevé avec soin, un musicien distingué, un véritable artiste, — il aurait pu prétendre à d’autres partis qu’à toi, qui n’avais rien, qui étais d’une classe inférieure, et pas même du métier. Un Krafft épouser une fille qui ne fût pas musicienne, cela ne s’était pas vu depuis plus de cent ans ! — Mais tu sais bien tout de même que je ne t’en ai pas voulu, et que j’ai de l’affection pour toi, depuis que je te connais. Puis, quand le choix est fait, il n’y a plus à y revenir : il ne reste qu’à faire son devoir, honnêtement.

Il retourna s’asseoir, prit un temps, et dit avec la solennité qu’il apportait à tous ses aphorismes :

— La première chose dans la vie, c’est de faire son devoir.

Il attendit un démenti, cracha sur le feu ; puis, comme ni la mère ni l’enfant n’élevaient d’objection, il voulut continuer, — et se tut.