Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 1.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
Jean-Christophe

appris à la mieux connaître ; et même, il s’était pris pour elle d’une affection paternelle, qui se traduisait le plus souvent par des rebuffades.

Nul ne pouvait comprendre ce qui avait poussé Melchior à ce mariage, — Melchior moins que personne. Ce n’était certes pas la beauté de Louisa. Rien en elle n’était fait pour séduire : elle était petite, pâlotte et frêle : et elle faisait un singulier contraste avec Melchior et Jean-Michel, tous deux grands, larges, des colosses à la figure rouge, au poing solide, mangeant bien, buvant sec, aimant rire, et faisant grand bruit. Elle semblait écrasée par eux ; on ne la remarquait guère, et elle cherchait à s’effacer encore plus. Si Melchior avait eu bon cœur, on eût pu croire qu’il avait préféré à tout autre avantage la simple bonté de Louisa ; mais il était l’homme le plus vain qui fût. Cela paraissait une gageure qu’un garçon de son espèce, assez beau, et ne l’ignorant pas, très fat, non sans talent d’ailleurs, et pouvant prétendre à quelque riche parti, capable même, — qui sait ? — de tourner la tête à une de ses élèves bourgeoises, ainsi qu’il s’en vantait, eût été brusquement choisir une fille du peuple, pauvre, sans éducation, sans beauté, qui ne lui avait fait aucune avance.

Mais Melchior était de ces hommes qui font toujours le contraire de ce qu’on attend d’eux et de ce

12