Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 1.djvu/80

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Louisa, qui ne laissait échapper aucune occasion de gagner un peu d’argent, continuait à se placer comme cuisinière dans les circonstances exceptionnelles, les repas de noces ou de baptême. Melchior feignait de n’en rien savoir : cela froissait son amour-propre ; mais il n’était pas fâché qu’elle le fît, sans qu’il le sût. Le petit Christophe n’avait encore aucune idée des difficultés de la vie ; il ne connaissait d’autres limites à sa volonté, que celle de ses parents, qui n’était pas bien gênante, puisqu’on le laissait pousser à peu près au hasard ; il n’aspirait qu’à devenir grand, pour pouvoir faire tout ce qu’il voulait. Il n’imaginait pas les contraintes où l’on se heurte à chaque pas ; et surtout il n’eût jamais pensé que ses parents ne fussent pas entièrement maîtres d’eux-mêmes. Le jour où il entrevit pour la première fois qu’il y avait parmi les hommes des gens qui commandent, et des gens qui sont commandés, et que les siens ni lui n’étaient pas des premiers, tout son être se cabra : ce fut la première crise de sa vie.

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