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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/111

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LA NOUVELLE JOURNÉE

(je vous le donne en mille)… notre ami Lévy-Cœur. Vous vous souvenez de ce joli monsieur, avec qui j’eus autrefois un duel ridicule ? Il fait aujourd’hui la leçon à ceux qui ne m’ont pas compris naguère. Il la fait même très bien. De tous ceux qui parlent de moi, il est le plus intelligent. Jugez de ce que valent les autres. Il n’y a pas de quoi être fier, je vous assure.

« Je n’en ai pas envie. Je suis trop humilié, lorsque j’entends ces ouvrages, dont on me loue. Je m’y reconnais, et je ne me trouve pas beau. Quel miroir impitoyable est une œuvre musicale, pour qui sait voir ! Heureusement qu’ils sont aveugles et sourds. J’ai tant mis dans mes œuvres de mes troubles et de mes faiblesses qu’il me semble parfois commettre une mauvaise action, en lâchant dans le monde ces volées de démons. Je m’apaise, quand je vois le calme du public : il porte une triple cuirasse ; rien ne saurait l’atteindre : sans quoi, je serais damné… Vous me reprochez d’être trop sévère pour moi. C’est que vous ne me connaissez pas, comme je me connais. On voit ce que nous sommes. On ne voit pas ce que nous aurions pu être ; et l’on nous fait honneur de ce qui est bien moins l’effet de nos mérites que des événements qui nous portent et des forces