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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/131

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LA NOUVELLE JOURNÉE

Le silence hostile se prolongeait. Christophe se leva. Emmanuel le reconduisit, sans un mot, à la porte. Sa démarche accusait son infirmité ; il le savait ; il mettait son orgueil à y sembler indifférent ; mais il pensait que Christophe l’observait, et sa rancune s’en aggravait.

Au moment où il serrait froidement la main à son hôte, pour le congédier, une jeune dame élégante sonnait à la porte. Elle était escortée d’un gandin prétentieux, que Christophe reconnut pour l’avoir remarqué à des premières théâtrales, souriant, caquetant, saluant de la patte, baisant la patte des dames, et, de sa place à l’orchestre, décochant des sourires jusqu’au fond du théâtre : faute de savoir son nom, il l’appelait « le daim ». — Le daim et sa compagne, à la vue d’Emmanuel, se jetèrent sur le « cher maître », avec des effusions obséquieuses et familières. Christophe, qui s’éloignait, entendit la voix sèche d’Emmanuel répondre qu’il ne pouvait recevoir, qu’il était occupé. Il admira le don que possédait cet homme d’être désagréable. Il ignorait ses raisons de faire mauvais visage aux riches snobs qui venaient le gratifier de leurs visites indiscrètes : ils étaient prodigues de belles phrases et d’éloges ; mais ils ne s’occupaient pas plus d’alléger sa mi-