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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/135

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LA NOUVELLE JOURNÉE

plus laid et plus ridicule), — il était sensible à l’élégance, il subissait l’attrait de femmes qui avaient pour lui (il n’en doutait pas) le sentiment qu’il avait pour son amie. Il tâchait de témoigner à celle-ci une affection qu’il n’avait pas, ou du moins que ne cessaient d’obscurcir des bourrasques de haine involontaire. Il n’y parvenait point ; il portait dans sa poitrine un grand cœur généreux, avide de faire le bien, et un démon de violence, capable de faire le mal. Cette lutte intérieure et la conscience qu’il avait de ne pouvoir la terminer à son avantage le jetaient dans une sourde irritation, dont Christophe recevait les éclats.

Emmanuel ne pouvait se défendre envers Christophe d’une double antipathie : l’une, issue de sa jalousie ancienne (ces passions d’enfance, dont la poussée subsiste, même quand on en a oublié la cause) ; l’autre, inspirée par un brûlant nationalisme. Il incarnait en la France tous les rêves de justice, de pitié, de fraternité humaine, conçus par les meilleurs de l’époque précédente. Il ne l’opposait pas au reste de l’Europe, comme une ennemie dont la fortune croît sur les ruines des autres nations ; il la mettait à leur tête, comme la souveraine légitime qui règne pour le bien de tous, — épée de l’idéal, guide du genre