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LA FIN DU VOYAGE

mauvais ou médiocres de leur sang, de façon qu’il ne leur reste plus rien à donner à ceux qui en seraient le plus dignes, à ceux qu’ils aiment le mieux, mais qui ne sont pas de leur sang. Et bien qu’il s’en irritât, bien qu’il eût envie, par moments, de tuer le petit monstre qui détruisait leur vie, il s’inclinait en silence et comprenait que Grazia ne pouvait agir autrement.

Alors, ils renoncèrent tous deux, sans récriminations inutiles. Mais si l’on pouvait leur voler le bonheur qui leur était dû, rien ne pouvait empêcher leurs cœurs de s’unir. Le renoncement même, le commun sacrifice, les tenaient par des liens plus forts que ceux de la chair. Chacun d’eux tour à tour confiait ses peines à son ami, s’en déchargeait sur lui, et prenait en échange les peines de son ami : ainsi, le chagrin même devenait joie. Christophe appelait Grazia « son confesseur ». Il ne lui cachait pas les faiblesses, dont son amour-propre avait à souffrir ; il s’en accusait avec une contrition excessive ; et elle apaisait en souriant les scrupules de son vieil enfant. Il allait jusqu’à lui avouer sa gêne matérielle. Toutefois, il ne s’y était décidé qu’après qu’il avait été bien entendu entre eux qu’elle ne lui offrirait rien, qu’il n’accepterait rien d’elle. Dernière barrière