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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/210

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LA FIN DU VOYAGE

héritiers d’un nouvel empire romain… Des mots, des mots, et des mots empruntés. Tout un fonds de bibliothèque, qu’ils débitaient en plein vent. — Comme tous ses camarades, le jeune Jeannin allait de l’un à l’autre vendeur, écoutait la parade, se laissait parfois tenter, entrait dans la baraque, en ressortait déçu, un peu honteux d’avoir donné son argent et son temps, pour contempler de vieux clowns dans des maillots usés. Et pourtant, telle est la force d’illusion de la jeunesse, telle était sa certitude d’atteindre à la certitude qu’à chaque promesse nouvelle d’un nouveau vendeur d’espérance, il se laissait aussitôt reprendre. Il était bien français : il avait l’humeur frondeuse et un amour inné de l’ordre. Il lui fallait un chef, et il était incapable d’en supporter aucun : son ironie impitoyable les perçait tous à jour.

En attendant qu’il en eût trouvé un qui lui livrât le mot de l’énigme… il n’avait pas le temps d’attendre. Il n’était pas homme à se contenter, comme son père, de rechercher, toute sa vie, la vérité. Sa jeune force impatiente voulait se dépenser. Avec ou sans motif, il voulait se décider. Agir, employer, user son énergie. Les voyages, les jouissances de l’art, la musique surtout dont il s’était gorgé, lui avaient été d’abord une