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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/218

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LA FIN DU VOYAGE

Il lui arrivait seulement d’être distrait, quand la visite le surprenait au milieu d’un travail. C’était l’affaire de quelques minutes, pendant lesquelles l’esprit s’évadait, pour ajouter un trait, une nuance, à l’œuvre intérieure ; puis il revenait auprès de Georges, qui ne s’était pas aperçu de l’absence. Il s’amusait de son escapade, comme quelqu’un qui rentre sur la pointe des pieds, sans qu’on l’entende. Mais Georges, une ou deux fois, le remarqua, et dit avec indignation :

— Mais tu ne m’écoutes pas !

Alors Christophe était honteux ; et docilement, il se remettait à suivre son impatient narrateur, en redoublant d’attention, pour se faire pardonner. La narration ne manquait pas de drôlerie ; et Christophe ne pouvait s’empêcher de rire, au récit de quelque fredaine : car Georges racontait tout ; il était d’une franchise désarmante.

Christophe ne riait pas toujours. La conduite de Georges lui était souvent pénible. Christophe n’était pas un saint ; il ne se croyait le droit de faire la morale à personne. Les aventures amoureuses de Georges, la scandaleuse dissipation de sa fortune en des sottises, n’étaient pas ce qui le choquait le plus. Ce qu’il avait le plus de peine à pardonner, c’était la légèreté d’esprit que Georges appor-