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LA FIN DU VOYAGE

autrement qu’on ne pense, pour ressembler au voisin, ou pour le ménager ? C’est se détruire soi-même, sans profit pour personne. Le premier devoir est d’être ce qu’on est. Oser dire : « Ceci est bien, cela est mal. » On fait plus de bien aux faibles, en étant fort, qu’en devenant faible comme eux. Soyez indulgent, si vous voulez, pour les faiblesses, une fois commises. Mais ne transigez jamais avec aucune faiblesse, à commettre…

Oui ; mais Georges se gardait bien de consulter Christophe sur ce qu’il allait faire : — (le savait-il lui-même ?) — Il ne lui parlait de rien que lorsque c’était fait. — Alors ?… Alors, que restait-il, qu’à regarder le polisson, avec un muet reproche, en haussant les épaules et souriant, comme un vieil oncle qui sait qu’on ne l’écoutera pas ?

Ces jours-là, il se faisait un silence de quelques instants. Georges regardait les yeux de Christophe, qui semblaient venir de très loin. Et il se sentait tout petit garçon devant eux. Il se voyait, comme il était, dans le miroir de ce regard pénétrant, où s’allumait une lueur de malice ; et il n’en était pas très fier. Christophe se servait rarement contre Georges des confidences que celui-ci venait de lui faire ; on eût dit qu’il ne les avait pas entendues. Après le dialogue muet de leurs