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LA FIN DU VOYAGE

actuelle, l’Athéna Niké, le Droit victorieux qui prend sa revanche de la Force. — Et voici que la Force s’était réveillée, au cœur même du Droit ; et elle ressurgissait, dans sa fauve nudité. La génération nouvelle, robuste et aguerrie, aspirait au combat et avait, avant la victoire, une mentalité de vainqueur. Elle était orgueilleuse de ses muscles, de sa poitrine élargie, de ses sens vigoureux et affamés de jouir, de ses ailes d’oiseau de proie qui plane sur les plaines ; il lui tardait de s’abattre et d’essayer ses serres. Les prouesses de la race, les vols fous par-dessus les Alpes et les mers, les chevauchées épiques à travers les sables africains, les nouvelles croisades, pas beaucoup moins mystiques, pas beaucoup plus intéressées que celles de Philippe-Auguste et de Villehardouin, achevaient de tourner la tête à la nation. Ces enfants qui n’avaient jamais vu la guerre que dans des livres n’avaient point de peine à lui prêter des beautés. Ils se faisaient agressifs. Las de paix et d’idées, ils célébraient « l’enclume des batailles », sur laquelle l’action aux poings sanglants reforgerait, un jour, la puissance française. Par réaction contre l’abus écœurant des idéologies, ils érigeaient le mépris de l’idéal en profession de foi. Ils mettaient de la forfanterie à exalter le bon sens borné, le