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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/255

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LA NOUVELLE JOURNÉE

musique des sphères étendait ses grandes nappes immobiles et profondes…


Quand il se réveilla (le jour était revenu,) l’étrange bonheur persistait, avec la lueur lointaine des paroles entendues. Il sortit de son lit. Un enthousiasme silencieux et sacré le soulevait.


Or vedi, figlio,
tra Beatrice e te è questo muro…


Entre Béatrice et lui, le mur était franchi.

Il y avait longtemps déjà que plus de la moitié de son âme était de l’autre côté. À mesure que l’on vit, à mesure que l’on crée, à mesure que l’on aime et qu’on perd ceux qu’on aime, on échappe davantage à la mort. À chaque nouveau coup qui nous frappe, à chaque œuvre nouvelle qu’on frappe, on s’évade de soi, on se sauve dans l’œuvre qu’on a créée, dans l’âme qu’on aimait et qui nous a quittés. À la fin, Rome n’est plus dans Rome ; le meilleur de soi est en dehors de soi. La seule Grazia le retenait encore, de ce côté du mur. Et voici qu’à son tour… À présent, la porte était fermée sur le monde de la douleur.

Il vécut une période d’exaltation secrète. Il ne sentait plus le poids d’aucune chaîne.