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LA NOUVELLE JOURNÉE

de la force de sympathie qui pousse vers la France tant de cœurs généreux de la nation voisine ! Tant de loyales mains tendues, qui ne sont pas responsables des crimes de la politique !… Et vous ne nous voyez pas non plus, frères d’Allemagne, qui vous disons : « Voici nos mains. En dépit des mensonges et des haines, on ne nous séparera point. Nous avons besoin de vous, vous avez besoin de nous, pour la grandeur de notre esprit et de nos races. Nous sommes les deux ailes de l’Occident. Qui brise l’une, le vol de l’autre est brisé. Vienne la guerre ! Elle ne rompra point l’étreinte de nos mains et l’essor de nos génies fraternels. »

Ainsi pensait Christophe. Il sentait à quel point les deux peuples se complètent mutuellement, et comme leur esprit, leur art, leur action sont infirmes et boiteux, privés du secours l’un de l’autre. Pour lui, originaire de ces pays du Rhin, où se mêlent en un flot les deux civilisations, il avait eu, dès son enfance, l’instinct de leur union nécessaire ; tout le long de sa vie, l’effort inconscient de son génie avait été de maintenir l’équilibre et l’aplomb des deux puissantes ailes. Plus il était riche de rêves germaniques, plus il avait besoin de la clarté d’esprit et de l’ordre latins. De là, que la France lui était si chère.