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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/28

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LA FIN DU VOYAGE

À vivre dans ce pays, il avait appris à le connaître. La plupart de ceux qui passent n’en voient que les verrues : la lèpre des hôtels, qui déshonore les plus beaux traits de cette robuste terre, ces villes d’étrangers, monstrueux entrepôts où le peuple gras du monde vient acheter la santé, ces repas de tables d’hôte, ces gâchages de viandes jetées dans la fosse aux bêtes, ces musiques de casinos dont le bruit s’associe à celui des petits chevaux, ces ignobles pitres italiens dont les braillements dégoûtants font pâmer d’aise les riches imbéciles qui s’ennuient, la sottise des étalages de boutiques : ours de bois, chalets, bibelots niais, les mêmes, répétés, répétés, sans aucune invention, les honnêtes libraires aux brochures scandaleuses, — toute la bassesse morale de ces milieux où s’engouffrent, chaque année, sans plaisir, les millions de ces oisifs, incapables de trouver des amusements, ni plus relevés que ceux de la canaille, ni simplement aussi vifs.

Et ils ne connaissent rien de la vie de ce peuple, qui est leur hôte. Ils ne se doutent pas des réserves de force morale et de liberté civique qui se sont, depuis des siècles, amassées en lui, des charbons de l’incendie de Calvin et de Zwingli, qui brûlent encore sous la cendre, du vigoureux esprit démocra-