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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/296

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LA FIN DU VOYAGE

Il la regardait continuer, à peu près résigné aux injustices qui le touchaient personnellement, pas tout à fait à celles qui concernaient sa foi. Car bien que, libre-penseur, il se prétendit affranchi de toute religion et qu’il traitât en plaisantant Christophe de clérical déguisé, il avait son autel, comme tout esprit puissant, qui déifie les rêves auxquels il se sacrifie. L’autel était déserté maintenant ; et Emmanuel en souffrait. Comment voir sans douleur les saintes idées qu’on a eu tant de peine à faire vaincre, pour lesquelles les meilleurs, depuis un siècle, ont souffert tant de tourments, foulées aux pieds par ceux qui viennent ! Tout ce magnifique héritage de l’idéalisme français, — cette foi dans la Liberté, qui eut ses saints, ses martyrs, ses héros, cet amour de l’humanité, cette aspiration religieuse à la fraternité des nations et des races, — avec quelle aveugle brutalité ces jeunes gens le saccagent ! Quel délire les a pris de regretter les monstres que nous avions vaincus, de se remettre sous le joug que nous avions brisé, de rappeler à grands cris le règne de la Force, et de rallumer la haine, la démence de la guerre dans le cœur de ma France !

— Ce n’est pas seulement en France, c’est dans le monde entier, disait Christophe, d’un