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LA FIN DU VOYAGE

Ombrienne avait fleuri une belle Romaine :


Color verus, corpus solidum et succi plenum.


Ses formes avaient pris une harmonieuse plénitude ; son corps était baigné d’une fière langueur. Le génie du calme l’entourait. Elle avait cette gourmandise du silence ensoleillé, de la contemplation immobile, cette jouissance voluptueuse de la paix de vivre, que les âmes du Nord ne connaîtront jamais bien. Ce qu’elle avait conservé surtout du passé, c’était sa grande bonté, qui pénétrait tous ses autres sentiments. Mais on lisait des choses nouvelles dans son lumineux sourire : une indulgence mélancolique, un peu de lassitude, beaucoup d’intelligence des âmes, une pointe d’ironie, un paisible bon sens. L’âge l’avait voilée d’une certaine froideur, qui l’abritait contre les illusions du cœur ; elle se livrait rarement ; et sa tendresse se tenait en garde, avec un sourire clairvoyant, contre les emportements de passion que Christophe avait peine à réprimer. Avec cela, des faiblesses, des moments d’abandon au souffle des jours, une coquetterie qu’elle raillait elle-même, mais qu’elle ne combattait point. Nulle révolte contre les choses, ni contre soi : un fatalisme très doux, dans une nature toute bonne et un peu fatiguée.