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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/56

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LA FIN DU VOYAGE

vertèbres de monstres antédiluviens. D’épaisses masses de nuées noires roulaient dans le ciel bleu. Des paysans à cheval poussaient, à coups de gaule, à travers le désert, des troupeaux de grands bœufs gris perle à longues cornes ; et, sur la voie antique, droite, poussiéreuse et nue, des pâtres chèvre-pieds, les cuisses recouvertes de peaux velues, cheminaient en silence, avec des théories de petits ânes et d’ânons. Au fond de l’horizon, la chaîne de la Sabine, aux lignes olympiennes, déroulait ses collines ; et sur l’autre rebord de la coupe du ciel, les vieux murs de la ville, la façade de Saint-Jean, surmontée de statues qui dansaient, profilaient leurs noires silhouettes… Silence… Soleil de feu… Le vent passait sur la plaine… Sur une statue sans tête, au bras emmaillotté, battue par les flots d’herbe, un lézard, dont le cœur paisible palpitait, s’absorbait, immobile, dans son repas de lumière. Et Christophe, la tête bourdonnante de soleil (et quelquefois aussi de vin des Castelli), près du marbre brisé, assis sur le sol noir, souriant, somnolent et baigné par l’oubli, buvait la force calme et violente de Rome. — Jusqu’à la nuit tombante. — Alors, le cœur étreint d’une angoisse subite, il fuyait la solitude funèbre où la lumière tragique s’engloutis-