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le matin

ce garçon si stupide quand il parlait, et dont les doigts étaient si éloquents. Christophe sentait leur sympathie, et il s’enhardissait. Il continua de jouer ; puis, se retournant à demi vers Minna, avec un sourire gêné, et sans lever les yeux :

— Voilà ce que je faisais sur le mur, dit-il timidement.

Il joua une petite œuvre, où il avait en effet développé les idées musicales qui lui étaient venues à sa place favorite, en regardant le jardin, non pas, à vrai dire, le soir où il avait vu Minna et madame de Kerich, — il cherchait à se le persuader, pour quelles obscures raisons, que son cœur était seul à connaître ? — mais bien des soirs avant ; et l’on pouvait retrouver dans le balancement tranquille de cet andante con moto les impressions sereines des chants d’oiseaux, des bruissements d’êtres, et de l’endormement majestueux des grands arbres dans la paix du soleil couchant.

Ses deux auditrices l’écoutaient avec ravissement. Quand il eut fini, madame de Kerich se leva, lui prit les mains avec sa vivacité habituelle, et le remercia avec effusion. Minna battit des mains, cria que c’était « admirable », et que, pour qu’il composât encore d’autres œuvres aussi « sublimes » que celle-là, elle lui ferait mettre une échelle contre le mur, afin qu’il pût y travailler tout à son aise.

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