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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 2.djvu/189

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le matin

pédantisme agressif. Il n’avait plus envie de rien dire, et parfois se fâchait. Puis il se persuadait que ces façons qui l’irritaient étaient la preuve de l’intérêt que lui portait Minna ; et elle se le persuadait elle-même. Il tâchait humblement d’en faire son profit. Elle lui en savait peu de gré ; car il n’y réussissait guère.

Mais il n’eut pas le temps, — ni Minna, — de s’apercevoir du changement qui s’opérait en elle. Pâques était venu, et Minna devait faire, avec sa mère, un petit voyage chez des parents, du côté de Weimar.

La dernière semaine avant la séparation, ils retrouvèrent leur intimité des premiers jours. Sauf quelques impatiences, Minna fut plus affectueuse que jamais. La veille du départ, ils se promenèrent longuement dans le parc ; elle attira mystérieusement Christophe au fond de la charmille, et lui passa au cou un sachet parfumé, où elle avait enfermé une boucle de ses cheveux ; ils se renouvelèrent des serments éternels, ils jurèrent de s’écrire chaque jour ; et, dans le ciel, ils firent choix d’une étoile, afin de la regarder, chaque soir, au même moment, tous deux.

Le jour fatal arriva. Dix fois, dans la nuit, il s’était demandé : « Où sera-t-elle demain ? » ; et maintenant, il pensait : « C’est aujourd’hui. Ce matin, elle est encore ici ; ce soir, elle n’y sera

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