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Jean-Christophe

ne s’adresser à personne en particulier, — sur la peine qu’on prenait pour donner des exemples de vie irréprochable et de belles manières à des êtres indignes, qui vous déshonoraient. Et quand l’oncle Théodore le rencontrait dans la rue, il détournait la tête, et se bouchait le nez, avec toutes les marques du plus profond dégoût.

Le peu de sympathie qu’il trouvait à la maison, faisait qu’il y restait le moins possible. Il souffrait de la contrainte perpétuelle qu’on cherchait à lui imposer : il y avait trop de choses, trop de gens, qu’il fallait respecter, sans qu’il fût permis de discuter pourquoi ; et Christophe n’avait pas la bosse du respect. Plus on tâchait de le discipliner, et de faire de lui un brave petit bourgeois allemand, plus il éprouvait le besoin de s’affranchir. Son plaisir eût été, après les mortelles séances, ennuyeuses et guindées, qu’il passait à l’orchestre ou au château, de se rouler dans l’herbe comme un poulain, de glisser du haut en bas de la pente gazonnée avec sa culotte neuve, ou de se battre à coups de pierres avec les polissons du quartier. S’il ne le faisait pas plus souvent, ce n’est pas qu’il fût arrêté par la peur des reproches et des claques ; mais il n’avait pas de camarades : il ne réussissait pas à s’entendre avec les autres enfants. Même les gamins des rues n’aimaient pas à jouer

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