Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 2.djvu/39

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le matin

Louisa leur imposa silence d’un tel ton, qu’ils se turent. Une peur instinctive les gagnait : au moment d’entrer, ils se mirent à pleurer. Il ne faisait pas encore tout à fait nuit ; les dernières lueurs du couchant allumaient d’étranges reflets à l’intérieur de la maison, sur le bouton de la porte, le miroir, le violon accroché au mur dans la première pièce à demi obscure. Mais, chez le vieux, une bougie était allumée ; et la flamme vacillante, se heurtant au jour livide qui s’éteignait, rendait plus oppressante l’ombre lourde de la chambre. Assis près de la fenêtre, Melchior pleurait avec bruit. Le médecin, penché sur le lit, empêchait de voir celui qui y était couché. Le cœur de Christophe battait à se rompre. Louisa fit agenouiller les enfants au pied du lit. Christophe se risqua à regarder. Il s’attendait à quelque chose de si terrifiant, après le spectacle de cet après-midi, qu’au premier coup d’œil, il fut presque soulagé. Grand-père était immobile et semblait dormir. L’enfant eut, un instant, l’illusion que grand-père était guéri, et que tout était fini. Mais quand il entendit son souffle oppressé, quand, en regardant mieux, il vit cette figure bouffie, où la meurtrissure de la chute faisait une large tache violacée, quand il comprit que celui qui était là allait mourir, il se mit à trembler ; et, tout en répétant la prière de Louisa pour que grand-père guérît, il

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