Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 2.djvu/41

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le matin

il ne parlait dans la vie ordinaire, et vers qui maintenant il se tournait d’instinct, suprême et inutile recours dans la terreur suprême !… Il parut s’apaiser un instant ; il eut encore une lueur de conscience. Ses lourds yeux, dont l’iris semblait flotter à la dérive, rencontrèrent le petit, glacé de peur. Ils s’éclairèrent. Le vieux fit un effort pour sourire et parler. Louisa prit Christophe et l’approcha du lit. Jean-Michel remua les lèvres et chercha à lui caresser la tête avec la main. Mais aussitôt il retomba dans sa torpeur. Ce fut la fin.

On avait renvoyé les enfants dans la chambre à côté ; mais on avait trop à faire pour s’occuper d’eux ; et Christophe, attiré par l’horreur, épiait par la porte entr’ouverte le tragique visage, renversé sur l’oreiller, étranglé par l’étreinte féroce qui se resserrait autour du cou, — cette figure qui se creusait de seconde en seconde, — cet enfoncement de l’être dans le vide, qui semblait l’aspirer comme une pompe, — et l’abominable râle, cette respiration mécanique, semblable à une bulle d’air qui crève à la surface de l’eau, ces derniers souffles du corps, qui s’obstine à vivre, quand l’âme n’est déjà plus. — Puis, la tête glissa à côté de l’oreiller. Et tout se tut.

Ce ne fut que quelques minutes après, au milieu des sanglots, des prières, de la confusion causée par

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