Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 2.djvu/59

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le matin

— Non ! cria rageusement Christophe.

— Quoi ! tu ne le penses pas ? Tu ne penses pas qu’il boit ?

— Ce n’est pas vrai ! dit Christophe.

Il trépignait.

L’employé haussa les épaules :

— En ce cas, pourquoi a-t-il écrit cette lettre ?

— Parce que… dit Christophe, — (il ne sut plus que dire), — parce que, comme je viens toucher mon traitement, chaque mois, je préfère prendre en même temps celui de mon père. Il est inutile que nous nous dérangions tous deux… Mon père est très occupé.

Il rougissait de l’absurdité de son explication. L’employé le regardait avec un mélange d’ironie et de pitié. Christophe, froissant le papier dans sa main, fit mine de sortir. L’autre se leva, et lui prit le bras.

— Attends un moment, dit-il, je vais arranger les choses.

Il passa dans le cabinet du directeur. Christophe attendit, sous les regards des autres employés. Son sang bouillait. Il ne savait pas ce qu’il faisait, ce qu’il allait faire, ce qu’il devait faire. Il songea à se sauver, avant qu’on lui rapportât la réponse ; et il s’y disposait, quand la porte se rouvrit :

— Son Excellence veut bien te recevoir, lui dit le trop serviable employé.

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