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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 2.djvu/72

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Jean-Christophe

de lui derrière son dos. Le bon Christophe se laissait toujours prendre ; il avait un tel besoin d’être aimé, qu’un mot affectueux suffisait pour désarmer sa rancune. Il leur eût tout pardonné, pour un peu d’amour. Mais sa confiance était cruellement ébranlée, depuis qu’il les avait entendu rire de sa bêtise, après une scène d’embrassements hypocrites qui l’avait ému jusqu’aux larmes : ce dont ils avaient profité pour le dépouiller d’une montre en or, cadeau du prince, qu’ils convoitaient. Il les méprisait, et pourtant continuait à se laisser duper, par un penchant irrésistible à croire et à aimer. Il le savait, il se mettait en rage contre lui-même, et il rouait de coups ses frères, quand il découvrait, une fois de plus, qu’ils s’étaient joués de lui. Cela ne l’empêchait point d’avaler aussitôt après le nouvel hameçon qu’il leur plaisait de lui jeter.

Une plus amère souffrance lui était réservée. Il apprit par d’officieux voisins que son père disait du mal de lui. Après avoir été glorieux des succès de son fils et s’en être partout vanté, Melchior avait la honteuse faiblesse d’en devenir jaloux. Il cherchait à les rabaisser. C’était bête à pleurer. On ne pouvait que hausser les épaules de mépris ; il n’y avait même pas à se fâcher ; car il était inconscient de ce qu’il faisait, et aigri par la déchéance. Christophe se taisait ; il eût craint, s’il parlait, de

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