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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 2.djvu/78

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Il est à son vieux piano, dans sa mansarde, seul. La nuit tombe. La lueur mourante du jour glisse sur le cahier de musique. Il se brise les yeux à lire, jusqu’à la dernière goutte de lumière. La tendresse des grands cœurs éteints, qui s’exhale de ces pages muettes, le pénètre amoureusement. Ses yeux se remplissent de larmes. Il lui semble qu’un être cher se tient derrière lui, qu’une haleine caresse sa joue, que deux bras vont enlacer son cou. Il se retourne, frissonnant. Il sent, il sait qu’il n’est pas seul. Une âme aimante et aimée est là, auprès de lui. Il gémit de ne pouvoir la prendre. Et pourtant, cette ombre d’amertume, mêlée à son extase, a encore une douceur secrète. La tristesse même est lumineuse. Il pense à ses maîtres bien aimés, les génies disparus dont l’âme revit dans ces musiques, qu’avait vécues leur vie. Le cœur gonflé d’amour, il songe au bonheur surhumain, qui dut être la part de ces glorieux amis, puisqu’un reflet de leur bonheur est encore si

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