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l’adolescent

Elle continuait à pleurer, sans pouvoir s’arrêter. Il lui essuya les yeux avec son mouchoir.

— Qu’as-tu, chère maman ? Tu souffres ?

— Je ne sais pas, je ne sais pas ce que j’ai.

Elle faisait effort pour se calmer, et sourire.

— J’ai beau me raisonner : pour un rien, je me remets à pleurer… Tiens, tu vois, je recommence… Pardonne-moi. Je suis bête. Je suis vieille. Je n’ai plus de force. Je n’ai plus de goût à rien. Je ne suis plus bonne à rien. Je voudrais être enterrée avec tout cela…

Il la pressait contre son cœur, comme un enfant.

— Ne te tourmente pas, repose-toi, ne pense plus…

Elle s’apaisait peu à peu.

— C’est absurde, j’ai honte… Mais, qu’est-ce que j’ai ? qu’est-ce que j’ai ?

Cette vieille travailleuse ne parvenait pas à comprendre pourquoi sa force s’était tout à coup rompue ; et elle en était humiliée jusqu’au fond d’elle-même. Il feignit de ne pas s’en apercevoir.

— Un peu de fatigue, maman, dit-il, en tâchant de prendre un ton indifférent. Cela ne sera rien, tu verras…

Mais il était inquiet aussi. Depuis l’enfance, il était habitué à la voir vaillante, résignée, silencieusement résistante à toutes les épreuves. Et il s’étonnait de la voir soudain brisée : il avait peur.

Il l’aida à ranger les affaires éparses sur le plancher. De temps en temps, elle s’attardait à un objet ; mais il le lui prenait des mains doucement, et elle le laissait faire.