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Jean-Christophe

mouvantes du fleuve, au pied de la maison. Il entendait le vent dans les grands arbres du jardin de Minna. Le ciel était noir. Nul passant dans la rue. Une pluie froide commençait à tomber. Les girouettes grinçaient. Dans une maison voisine, un enfant pleurait. La nuit pesait d’une tristesse écrasante sur la terre et sur l’âme. Les heures monotones, les demies et les quarts au timbre fêlé, tombaient l’un après l’autre dans le silence morne, que ponctuait le bruit de la pluie sur les toits et sur les pavés.

Comme Christophe se décidait enfin à se coucher, le cœur et le corps transis, il entendit la fenêtre au-dessous de lui qui se fermait. Et, dans son lit, il pensa douloureusement qu’il est cruel pour les pauvres gens de s’attacher au passé ; car ils n’ont pas le droit d’avoir un passé, comme les riches ; ils n’ont pas de maison, pas un coin sur la terre où ils puissent abriter leurs souvenirs : leurs joies, leurs peines, tous leurs jours sont dispersés au vent.